FRENCH MAGAZINE #Automne 18 / Hiver 19

 

Mathias Kiss rejoint La Maison des Compagnons du Devoir dès l'âge de 14 ans. Il y apprend sagement “le métier”, plongé dans un monde et une culture du passé détachés de la réalité des jeunes de son âge, il se confronte uniquement avec des maitres d'oeuvre peu bavards et qui n'ont qu'un objectif, un dogme, la restauration des oeuvres anciennes. Une expérience qui ne l'a pas seulement formée mais qui l'a également fait grandir.


Roberta Molin Corvo : Parle-nous de ton expérience auprès de La Maison des Compagnons du Devoir. 


Mathias Kiss : La restauration est le contraire de la création. Lorsque l'on travaille avec les Compagnons du Devoir, avoir des idées créatives ne sert à rien. Dans un état de soumission complète de résignation, la seule pensée possible concerne la conservation de biens historiques, en faisant appel, pour la restauration, aux compétences traditionnelles. Je dois tout à cette expérience, techniquement, elle représente la meilleure école que je pouvais faire, mais, par la suite d'un point de vue philosophique, m'émanciper de celle-ci a été très difficile, et c'est la raison pour laquelle, dans l'accomplissement de mon parcours artistique je remets toujours le passé en discussion.


RMC : Quand ta carrière artistique a-t-elle commencé ? 


MK : Je ne sais ni quand ni avec quelle œuvre elle a vraiment commencé. J'ai quitté La Maison des Compagnons du Devoir à 30 ans, mais, avant, je sentais déjà en moi une rébellion qui, à chaque étape de mon apprentissage, devenait toujours plus pressante. Jusqu'au moment où j'ai atteint le point culminant et je suis parti, commençant à désobéir. La corniche des plafonds encant à désobéir la corniche des plafonds délimite la superficie de la pièce, j'ai décidé de ne pas suivre le mur j'ai plié une fenêtre et j'en ai fait une œuvre, j'ai ajouté des pixels, des cubes à un ciel peint, créant ainsi une illusion optique. J'ai utilisé mon savoir-faire pour réinventer les codes de la construction classique française, donnant ainsi naissance au discours à mon concept. 


RMC : La feuille d'or est un matériau que tu utilises beaucoup dans ton travail, y a-t-il une raison particulière ? 


MK : L’or est un matériau sacralisé, il est toujours lié à des lieux de pouvoir religieux et politique pour l'homme et de séduction pour la femme. Les grands cadres dorés que je restaurais quand je travaillais au musée du Louvre servaient, avant l'électricité, à attirer la lumière pour sublimer les tableaux. Aujourd'hui, j'utilise la feuille d'or d'une manière désacralisante, le meilleur exemple est représenté par le revêtement en feuilles d'or que j'ai réalisé sur le sol de la galerie Alain Gutharc, le faisant ainsi devenir, avec le public qui marchait dessus, une oeuvre performative.


RMC : Quelle est l'œuvre qui t'identifie le plus ? 


MK : Jusqu'à présent, l'œuvre qui m'a peut-être fait connaître est un miroir que j'ai idéalement froissé, auquel j'ai donné du volume avant de le remettre au mur. Sans angle droit, il fait lui aussi partie de ce parcours de rébellion, se détachant des symboles que portent les Compagnons, le compas et l'équerre à 90°. Créer sans angles droits et déconstruire une architecture classique. 


RMC : Quelle évolution ton travail connaît-il actuellement ?

 

MK : En ce moment, je suis à la limite de mes compétences, et je sais que je travaille avec des matériaux fragiles, tels que le plâtre à mouler destiné à vivre en intérieur. Maintenant, je veux m'éloigner de ce concept domestique grâce à une nouvelle approche du bronze. Je suis en train de réaliser des œuvres dans lesquelles mon esthétique se reconnaitra. D'environ deux mètres de hauteur, elles pourront également être exposées en extérieur. J'ai utilisé mon savoir-faire pour réinventer les codes de la construction classique française, donnant ainsi naissance au discours, à mon concept.

 


RMC : Pourquoi ?

 

MK : Une œuvre située dans un lieu public peut aujourd'hui, certainement susciter la curiosité, troubler Mais, à l'avenir, elle est destinée à entrer dans le classique panorama culturel. Cela a déjà été le cas pour d'autres artistes, par exemple Les Deux Plateaux ordinairement dénommés "colonnes de Buren". l'oeuvre d'art de Daniel Buren, dans la cour du Palais Royal J'ai travaillé pendant des années avec les monuments historiques, dans leur éternelle majesté, et ce que je recherche aujourd'hui avec mon travail, c'est la pérennité Avoir l'une de mes oeuvres dans un contexte public ou à côté d'une cuve classique serait généreux et lierait mon passé, avec ma formation technique, à mon idéologie.


Selon moi plus que dans le succès, le concept de l'état d'artiste réside dans le besoin de faire de se pousser toujours plus loin dans sa propre recherche Si tu veux que ton message, ton œuvre, soient compris, il est nécessaire d'employer les bons moyens et les bons matériaux.

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